Chamonix : une belle rencontre

Le mois de mai arrivé, nous prenons la route pour notre destination favorite, Chamonix….
Cette année notre trajet passe par l’Auvergne et c’est avec plaisir que nous avons séjourné dans un château situé dans une région que l’on appelle la petite Toscane au milieu d’un grand parc planté d’arbres centenaires et aux jolies allées gravillonnées roses.

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Notre chemin nous a menés par Usson, petit village pittoresque que nous avons visité en admirant la chaîne des Puys.


Cette année, le voyage s’effectue avec l’Amie Blonde (j’adore ses coiffures toujours distinguées et sa gentillesse). Elle est accompagnée de son Sacré de Birmanie. Il s’appelle Amadeus, c’est un beau nom ne trouvez-vous pas ?


Nous sommes deux gentlemen, c’est vous dire que le trajet s’effectue en harmonie totale.
Lui, voyage, altier, sur les genoux de sa maîtresse. Moi, princier, sur la banquette arrière.
La route me plaît, comme d’habitude les paysages défilent sous mes yeux intéressés.
Heureux de nous installer, nous retrouvons chacun, chacune, avec plaisir, nos chambres habituelles, douillettes et spacieuses, face aux Aiguilles de Chamonix et au Mont Blanc.

Chamonix nous accueille, en cet fin de dimanche après-midi sous une chaleur inattendue, quasiment 30° sur la place de la Brocante où il fait bon fureter les vieux objets de montagne.


Le lendemain matin, la surprise est de taille ! Chamonix, dans la nuit s’est habillé de blanc ! C’est merveilleux, il neige ! De très gros flocons virevoltent et nous tapissent notre paysage d’un joli manteau blanc. Vite, on s’emmitoufle et on part faire des photos.

Cette première journée se passe dans une ambiance hivernale, mais dès la fin de l’après-midi le soleil revient et le lendemain nous pouvons faire les excursions prévues.
Nous prenons la route vers les Houches en passant par le lac des Gaillands, promenade charmante et verdoyante. Nous continuons notre journée « lacs » par le plateau d’Assy.


Nous pouvons y admirer l’église Notre-Dame-de-Toute Grâce. Solidement ancrée au sol, elle est décorée par les meilleurs artistes de l’art moderne. Sa façade est de Fernand Léger, l’intérieur est un endroit privilégié d’Art Sacré du XXème siècle. Le bénitier en marbre de Carare est magnifique.


Notre promenade continue jusqu’au lac Vert, où une marche très agréable nous permet d’en faire le tour. Il porte bien son nom. Les arbres se reflètent dans ses eaux calmes et limpides. L’endroit est reposant. Nous en profitons.


Sur le chemin du retour, nous faisons quelques emplettes à Sallanches puis nous rejoignons notre hôtel où, après cette journée bien remplie, je m’endors avec délice pendant que les filles vont tester les menus du chef Mickey Bourdillat au Matafan (petite parenthèse, elles reviennent enchantées).


Le matin 25 mai, frais et dispos, nous allons voyager « ascensationnel ».
J’explique : à la gare de Chamonix (où nous découvrons Véronique Béjot et Ked Adams en train de tourner un film) nous prenons le Mont Blanc Express via la Suisse. Notre but est d’atteindre la barrage d’Emosson. Trois trains différents vont nous y conduire.


Arrivés au Chatelard, nous prenons le Funiculaire, avec son toit panoramique, il nous emmène à 1825 m d’altitude, c’est impressionnant, sa pente est à 87%.
C’est un voyage VER-TI-CAL !


A la gare des Menuires un autre train panoramique, entièrement ouvert, nous emmène à flanc de montagne. Nos yeux sont éblouis et subjugués par la vue sur la chaîne du Mont Blanc et les gorges du Bouqui.


Le dernier tronçon du voyage se fait avec le Minifuc. Il nous amène au barrage d’Emosson.


A la descente, les patinettes un peu frileuses, je laisse mes empreintes dans la neige fraîche (elle est tombée il y a trois jours) et elle a embelli (si c’est possible) encore plus notre panorama.
La marche vers la Chapelle dédiée à Notre-Dame des Neiges, nous permet d’admirer à 360° un décor féérique.


Toutes ces émotions (ce n’est pas rien une montée aussi abrupte !) nous ont creusé l’appétit et c’est avec bonheur que je vois arriver sur notre table, au restaurant du Barrage, une assiette de charcuterie valaisanne qui se déguste sans fourchette ! Je hume avec délectation tout en admirant au loin le Mont Blanc sur fond de ciel d’un bleu intense !


L’après-midi, nous nous promenons le regard tourné vers la Suisse et ses sommets.


Notre retour en train(s) est aussi joyeux que l’aller. Que du bonheur ! Encore une belle journée à noter au crédit de mes souvenirs.


Un autre jour, nous sommes allés dans le massif des Aiguilles Rouges à la Cascade du Bérard en traversant le village de la Poya vers le mont Buet.


Au début du 20ème siècle, le Buet (3096 m) était appelé « la mont Blanc des dames ».
Sur le chemin, nous nous sommes arrêtés au village du Tour, c’est là qu’est né Michel Croz (vous découvrirez sa vie quand j’irai à Zermatt).


Nous avons croisé des Hérens, ces belles vaches qui font des combats de reines. Elles avaient des senailles qui égayaient la douce vallée au rythme des pas des vaches qui broutaient tantôt nonchalamment, tantôt toutes guillerettes…. Peut-être portent-elles une Devouassoud, ces célèbres cloches fabriquées à Chamonix et qui demandent cinquante et une opérations pour parvenir à donner ces sons cristallins qui résonnent dans les montagnes l’été.

Après toutes ces promenades je suis bien fatigué, je n’aspire qu’au bonheur d’une grande sieste. Alors quand ma maîtresse me dit « cet après-midi : jour de shopping » les deux matous que nous sommes, restons sagement sur nos balcons ensoleillés en attendant le retour « des filles ».
Ma maîtresse partie, mon balcon ouvert au dessus de l’Arve , je suis installé dans un fauteuil sur un pouf bien moëlleux. Je m’apprête à profiter d’une sieste digne d’un matou qui va se laisser bercer par le bruit du torrent.
Alors que je m’assoupis doucement bien lové sur le coussin moelleux, j’entends une petite voix en provenance du balcon mitoyen qui fait « psitt, psitt ». J’entrouvre un œil, nonchalant, je l’accorde. Est-ce pour moi ?
Le « minou-minou » qui suit me conforte dans l’idée qu’il faut que je m’éveille un peu plus. J’en profite pour m’étirer de toutes mes pattes avant et je jette un regard sur l’ombre qui se projette à ma droite.
Je découvre une petite grand-mère, ridée comme une jolie pomme en fin de saison. Foi de Normand !
Je sens que nous allons faire plus ample connaissance et en guise de bienvenue, je lui miaule un miaou aimable et encourageant. Il n’en fallait pas plus pour qu’elle entame la conversation !
Elle s’installe doucement sur son fauteuil, elle aussi, et là, va commencer le plus long récit que je n’ai jamais entendu en vacances.


Elle commence par me complimenter sur mon beau pelage et mes yeux verts expressifs (ça me flatte, ça me va !)
Elle me confie être au soir de sa vie et venir se reposer dans un lieu qu’elle a découvert il y a bien des années maintenant et qu’elle aime revoir régulièrement.
J’apprends qu’elle a 95 ans passés mais elle semble encore bien alerte et puis elle dégage tant de gentillesse.
Vois-tu greffier, me dit-elle, quand je suis née c’était, disait-on, le début des années folles, au siècle dernier. Mais moi je suis née dans un petit bourg de campagne, loin de la capitale, d’un père charpentier et d’une mère « occupée au ménage » comme on disait. Les années folles on ne les ressentait pas tellement dans notre campagne.
Nous n’étions pas riches, mais la vie s’écoulait joyeusement entourée de mes deux parents, je vivais heureuse et confiante.
Quand j’ai eu 7 ans, maman est tombée brusquement malade et un soir on m’a simplement annoncé qu’elle « était partie au ciel ». La petite fille que j’étais s’est trouvée bien désemparée et bien triste, mais sans vraiment réaliser comment sa vie allait changer.
La gaieté d’auparavant nous a abandonnés, mon père et moi, et comme il a dû aller travailler dur, on m’a confiée à mon oncle et ma tante qui vivaient dans une ferme dans le bocage.
Quel changement ! Un peu à l’école, beaucoup aux menus travaux de la ferme.
Quelques années se sont écoulées et mon père, lui aussi, nous a quittés pour toujours. J’avais 13 ans et j’étais définitivement orpheline.
Courte enfance heureuse ! Courte jeunesse à l’école !
Je travaillais dès lors à temps plein à la ferme et la vie, encore à la bougie, s’écoulait bien lentement par rapport à celle d’aujourd’hui, avec ses lots de surprises et de découvertes.
Quand j’ai eu 17 ans, j’ai rencontré un beau jeune homme. Et nous nous sommes mariés. Une dispense a été nécessaire vu mon jeune âge. L’élu de mon cœur s’appelait Ambroise.
Là, elle s’arrête, me regarde avec attention et se demande si je l’écoute attentivement. Oui, gentille grand-mère, rassure-toi, je ne perds pas une miette de tes confidences.
Elle comprend à mon clin d’œil que je la suis dans ses souvenirs. Je continue, me dit-elle.
« Ce fut une nouvelle vie, pleine d’évènements successifs.
Nous vivions dans une jolie petite ferme qu’un vieil oncle avait mise à notre disposition.
L’année suivant notre mariage une jolie brunette est arrivée dans notre foyer. Encore une année et un joli petit garçon est venu agrandir le cercle familial. ..Nous étions en 1939.
Début de la Seconde Guerre mondiale. Début des restrictions.
Début de jours difficiles en raison du conflit qui se rapprochait de nos campagnes.
Je te résume l’essentiel : un matin de 1943, des Allemands sont arrivés dans notre ferme. Poliment, mais très fermement et les armes à la main, ils ont expliqué qu’ils s’installaient dans notre maison et que désormais on devait vivre dans l’étable à quelques pas de là. Nous n’avons pas eu le choix.
Avec mes deux amours en bas-âge, ce fut une période périlleuse. On avait quand même le droit d’exploiter notre ferme à la condition de leur fournir régulièrement du lait, des légumes et des volailles.
Ils ont toujours été corrects mais on vivait la peur au ventre.
Je marchais en galoches et mon mari portait des chaussettes russes. Ah, tu ne sais pas, beau raminogrobis, ce que sont des chaussettes russes : je t’explique. Nous coupions un carré de toile de jute dont on s’entourait le pied, le tout enfilé dans des bottes ou des sabots.
Le jour de la débâcle, les occupants sont partis très vite en laissant derrière eux un plein chaudron de chocolat au lait. Il y avait bien longtemps que ce délicieux fumet n’avait pas chatouillé nos narines. Malgré tout nous l’avons jeté sans y goûter.
Ce fut la libération avec un grand ‘L’, avec la joie que cela a engendré.
Vois-tu mes souvenirs s’effacent un peu mais je peux dire que ce fut une succession de petits bonheurs. On re-découvrait la vie.
A la fin de la guerre nous avons vendu la ferme et nous avons acheté une jolie longère aux colombages blancs et bruns dans un bourg qui possédait tous les services utiles à la vie qui reprenait avec entrain.

Après toutes ces années de privation, on la savourait doublement la vie. Mes enfants grandissaient sagement, mon mari portait fièrement les guêtres à la mode et moi j’essayais de rendre ma petite famille heureuse.
J’ai connu de grands changements dans la vie de tous les jours : l’électricité et l’eau courante sont arrivées dans notre quotidien. La T.S.F. aussi ! Que de progrès !
Même les voyages devenaient possibles. Découvrir enfin Paris qui, auparavant semblait inaccessible ! Il a même fallu s’adapter. Je me rappelle qu’avant la guerre mon Ambroise partait à la chasse en mobylette avec une veste équipée d’une gibecière, laquelle lui servait à transporter son Loulou de Poméranie. Ce chien s’appelait Zouzou et il adorait ces balades en forêt. Il était impatient de sauter dans la poche de la gibecière ! Visualisez la petite scène : la tête du chien d’un côté, la queue en panache enroulée de l’autre! Et en avant la troupe sur la mobylette !

Un peu avant les années 60, ma fille a mis au monde une fille, ce fut ma première petite fille. C’était un bonheur de blondinette. Nous partageons toutes les deux beaucoup de connivence et de tendresse filiale. Toujours elle prend soin de moi, elle n’oublie pas sa petite enfance où je la gâtais et lui apprenais à découvrir la vie.
Peu avant les années 80, elle a eu un beau petit garçon, c’était mon premier arrière-petit-fils. C’est avec joie que j’ai aidé à guider ses premiers pas. Depuis c’est plutôt lui qui guide les miens un peu moins assurés chaque année. »
Ce sont, tous les deux, mes bâtons de vieillesse.
Dis donc beau chat, j’ignore ton nom, mais vois-tu l’histoire de ma vie s’avance et je suis ravie que tu m’écoutes toujours aussi sagement.
C’est vrai que je l’écoute, fasciné par sa petite voix, aux intonations tantôt gaies, tantôt tristes.
D’ailleurs une idée me traverse l’esprit : si je calcule bien mon élan, je pourrais, à n’en pas douter, atterrir sur ses genoux. Mais elle me paraît si frêle que je renonce à ma cabriole, je me contente de lui adresser quelques miaulements de bonheur.
Soudain j’entends un bruit de clé dans la serrure de la chambre. Les filles sont déjà de retour ! Je dois avouer que le temps m’a paru bien court aujourd’hui. Ma vieille Mémé et moi, on ne s’est pas aperçu que le soleil avait décliné et qu’il commençait à iriser le Mont Blanc.


Après un bon étirement, je m’empresse d’aller accueillir ma maîtresse.
Quelques jours encore au rythme des balades en montagne, puis c’est l’au-revoir à Chamonix.

Nous prenons le chemin du retour, par la Bourgogne, où nous avons fait une halte à Vonnas au pays de Georges Blanc.


Et puis, nous rentrons dans notre Normandie natale où m’attendent mes compagnons félins qui ont été affectueusement gardés par nos amis. Je suis heureux de les retrouver.
Dehors, ça fleure bon le lilas, les pommiers en fleurs et le cassis-fleur. Mes narines reniflent avec plaisir toutes les senteurs de mon jardin où virevoltent la nouvelle couvée des hirondelles, crû 2016.

A bientôt…